Cycle
Au miroir des mondes

lun. 11 septembre - 20.00
RĂ©cital Toulouse

Tour d’Europe en quelques touches

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ven. 22 septembre - 20.00
Opéra Rouen

Carmen

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sam. 23 septembre - 19.30
Musique de chambre Venise

Voyage onirique

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dim. 24 septembre - 16.00
Opéra Rouen

Carmen

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Lointaines ou voisines, parcourues ou fantasmĂ©es : au XIXe siĂšcle, les contrĂ©es Ă©trangĂšres permettent Ă  la musique française d’interroger son identitĂ©.

Avec les rĂ©volutions industrielles, le lointain se rapproche Ă  la vitesse d’un moteur Ă  vapeur : l’Orient rĂȘvĂ© des contes et des explorateurs se tient Ă  la portĂ©e des EuropĂ©ens aisĂ©s. Pour les moins fortunĂ©s, les gravures des journaux illustrĂ©s se chargent d’ouvrir des fenĂȘtres sur l’ailleurs. La production musicale du XIXe siĂšcle français se fait l’écho de cette fascination : les intrigues de ses opĂ©ras se situent gĂ©nĂ©ralement hors des frontiĂšres nationales et les danses Ă©trangĂšres alimentent une grande partie du rĂ©pertoire instrumental. En contrepoint d’une gĂ©opolitique guerriĂšre et colonisatrice, les artistes se dĂ©paysent aussi pour trouver une nouvelle voie. Le voyage prend alors les formes d’une quĂȘte des origines et, avec elle, l’espoir de rĂ©gĂ©nĂ©rer un Occident Ă  bout de souffle.
« Ah ! que ne puis-je Ă  tire-d’aile,
Orient sacré,
Atteindre ton azur fidĂšle,
Ton beau ciel nacré ! »

Camille Saint-SaĂ«ns, DĂ©sir de l’Orient, 1871

Translation
« L’action se dĂ©roule en France, de nos jours » : voilĂ  une formule que l’on ne voit presque jamais en tĂȘte des livrets d’opĂ©ra français au XIXe siĂšcle. MĂȘme lorsqu’on pourrait parier que l’intrigue s’inspire de l’actualitĂ© parisienne la plus immĂ©diate, son cadre se trouve dĂ©calĂ© : transposĂ© dans le passĂ© – antique, mĂ©diĂ©val, historique ou lĂ©gendaire – ou encore transportĂ© vers des contrĂ©es plus ou moins exotiques dans lesquelles, pourtant, tout le monde parle parfaitement français. Pour comprendre cet usage, il faut sans doute d’abord rappeler que l’art lyrique romantique s’exprime sous surveillance. Et la censure (ou l’auto-censure) ne s’exerce pas uniquement sur les propos politiques, mais aussi sur les mƓurs que l’on donne Ă  voir. Par exemple, la passion mortifĂšre de Don JosĂ©, dans Carmen, peut ĂȘtre acceptĂ©e par les Français de 1875 quand elle s’épanouit en Espagne un demi-siĂšcle plus tĂŽt. Elle aurait Ă©tĂ© intolĂ©rable si ce personnage avait Ă©tĂ© un compatriote contemporain. Il faut donc considĂ©rer que ces dramaturgies racontent d’abord l’époque et le lieu qui les voient naĂźtre, avant mĂȘme de dĂ©peindre une rĂ©alitĂ© exotique. Au miroir de ces mondes lointains, les Français peuvent se voir tels qu’ils sont, sans avoir Ă  se reconnaĂźtre.
« La scÚne se passe dans la capitale des Trente-Six Royaumes »
L’Étoile, Leterrier & Vanloo / Chabrier, 1877

Fascination
Cet art du dĂ©calage bĂ©nĂ©ficie, de plus, d’une fascination pour l’ailleurs et l’ancien qui se dĂ©mocratise Ă  partir de l’ùre romantique. À l’heure oĂč les empires coloniaux se constituent, on glorifie les grandes figures d’explorateurs – comme Vasco de Gama chantĂ© par Bizet en 1860 ou mis en scĂšne par Meyerbeer en 1865 dans L’Africaine, son ultime opĂ©ra – et on s’arrache les rĂ©cits d’aventures autour du globe. Le Robinson CrusoĂ© de Defoe (1717) connaĂźt enfin une vogue en France et se voit adaptĂ© Ă  la scĂšne par Offenbach en 1867. Paul et Virginie de Bernardin de Saint-Pierre (1788) inspire Kreutzer en 1791, Le Sueur en 1794, avant de s’imposer Ă  l’opĂ©ra sous la houlette de Victor MassĂ© (1876). Les romans de Pierre Loti irriguent la production lyrique parisienne Ă  partir des annĂ©es 1880 (LakmĂ© de Delibes) jusqu’au tournant du siĂšcle, avec des mises en musique signĂ©es par AndrĂ© Messager (Madame ChrysanthĂšme), Lucien Lambert (Le Spahi) et Reynaldo Hahn (L’Île du rĂȘve). Comme les gravures publiĂ©es dans les journaux illustrĂ©s de l’époque, les dĂ©cors et les costumes d’opĂ©ra rĂ©pondent, eux aussi, Ă  cette curiositĂ© populaire : ils offrent la possibilitĂ© de voir ces contrĂ©es Ă©trangĂšres sans prendre le bateau.

Érotisation
Au cƓur du rĂȘve d’Orient – depuis l’Espagne jusqu’au Levant, en passant par le Maghreb – se trouve aussi la recherche d’une sensualitĂ© que la rigiditĂ© morale condamne en Occident. Tabou en d’autres circonstances, le dĂ©sir fĂ©minin peut s’exprimer sans fard dans un opĂ©ra que l’on situe au Caire, au Japon, en Turquie ou en Inde. Dans le « conte arabe » Le SaĂŻs de Marguerite Olagnier (1881), on se permet d’ailleurs des mĂ©taphores tout Ă  fait transparentes : « Les languissantes fleurs ouvrirent leur calice aux abeilles Ă©prises d’amour ». ImaginĂ©e essentiellement par des hommes, cette « libĂ©ration » sexuelle des Ă©trangĂšres n’a rien de progressif. On fantasme ces femmes comme on aime Ă  s’imaginer la terre Ă  coloniser : dociles et fertiles, en attente de l’homme occidental pour s’épanouir pleinement. NĂ©anmoins, cette zone dramaturgique placĂ©e en dehors de la biensĂ©ance bourgeoise permet d’aborder des thĂšmes que l’on ne traite ouvertement que rarement dans d’autres contextes : les passions entre personnes n’ayant pas la mĂȘme couleur de peau peuvent ainsi ĂȘtre envisagĂ©es si l’on prend le soin de transposer leur histoire dans le passĂ© (La CrĂ©ole d’Offenbach, 1875) ou dans le lointain (LakmĂ© ou L’Île du rĂȘve).

« Nos deux modes, majeur et mineur, ont Ă©tĂ© tellement exploitĂ©s, qu’il y a lieu d’accueillir tous les Ă©lĂ©ments d’expression propres Ă  rajeunir la langue musicale. »
L.-A. Bourgault-Ducoudray, 1878

Appropriation
Sur le plan musical, l’exotisme romantique ne s’aventure pas dans le domaine de la rĂ©vĂ©lation ethnographique. Rares sont les compositeurs qui, comme FĂ©licien David, Camille Saint-SaĂ«ns, Ernest Reyer ou L.-A. Bourgault-Ducoudray, parcourent le monde et ramĂšnent, dans leurs carnets, des mĂ©lodies ou des rythmes teintant leurs partitions d’une « couleur locale » Ă  peu prĂšs authentique. L’orientalisme repose d’abord sur une lĂ©gĂšre coloration modale des parties mĂ©lodiques, qu’un traitement harmonique tout Ă  fait tonal maintient dans le domaine ordinaire de la musique occidentale. NĂ©anmoins, au fil de la TroisiĂšme RĂ©publique, les musiques extraeuropĂ©ennes vont inspirer Ă  certains artistes des voies nouvelles pour sortir du romantisme dĂ©clinant. Par ailleurs, les airs populaires de pays plus proches de la France, telles l’Espagne et l’Italie, nourrissent volontiers les productions françaises depuis le dĂ©but du XIXe siĂšcle. Ils permettent aux musiciens de ne pas trop s’éloigner du systĂšme tonal tout en marquant clairement une cĂ©sure gĂ©ographique. Ce faisant, l’usage frĂ©quent des boleros ou canzoni tend Ă  les faire entrer dans le domaine de l’art français.

Programmation